Nous, survivants, survivantes et familles des plus de 100,000 Syriens et Syriennes disparus de force depuis 2011, estimons que la recherche des disparus est une étape essentielle permettant de construire la paix en Syrie.
Mais, c’est un processus complexe qui nécessite une grande capacité, ainsi que des efforts de coordination entre les institutions étatiques, les organismes internationaux, les groupes de victimes, les organisations de la société civile et les anthropologues médico-légaux. Il est donc essentiel que les États membres des Nations Unies agissent rapidement pour mettre en place une institution de recherche des personnes disparues en Syrie, conformément aux recommandations du Secrétaire général des Nations Unies. Il est temps d’agir.
Les tremblements de terre qui ont frappé le sud de la Turquie et le nord de la Syrie le 6 février ont été une tragédie pour le monde entier et ont considérablement aggravé la situation des familles de victimes et les survivants. Parmi les victimes figurent les membres des familles des disparus qui ne verront jamais le visage de leurs proches et ne connaîtront jamais leur sort. Les tremblements de terre ont entraîné la perte de preuves et de témoignages qui auraient été essentiels pour sauver les détenus et les personnes disparues encore en vie.
En votant pour la création d’une institution au niveau des Nations Unies dans les plus bref délais, qui aurait pour mandat (1) de clarifier le sort des personnes disparues et (2) d’apporter un soutien adéquat aux familles, les États membres peuvent sauver ceux et celles qui sont encore en vie et prendre une position franche au nom des valeurs universelles inscrites dans la Charte des Nations Unies.
Le phénomène de la disparition forcée en Syrie n’est pas récent. Depuis la fin des années 70, les autorités syriennes mènent une politique de répression basée sur la disparition forcée à l’encontre de tous ceux qui suivent la voie de l’opposition politique, de l’esprit critique et de l’activisme pour la défense des droits de l’Homme. Plus de 17 000 cas de disparition forcée sont estimés sous le règne de Hafez al-Assad, dont la plupart au cours des années 80.
Le recours à la disparition forcée s’est considérablement intensifié depuis le soulèvement de 2011. Il serait difficile de déterminer le nombre exact de disparus, étant donné que la plupart des prisons et des centres de détention ne sont pas ouverts aux observateurs. Selon le Réseau Syrien des Droits de l’Homme (SNHR), plus de 100 000[1] personnes sont portées disparues suite à une arrestation ou à un enlèvement depuis 2011 en Syrie, et 90% de ces cas sont commis par des forces gouvernementales syriennes.
La résolution 2139 du Conseil de sécurité de l’ONU, adoptée en février 2014, a fermement condamné les enlèvements et la disparition forcée en Syrie, et a exigé de mettre fin à ces pratiques ainsi qu’à libérer toutes les personnes détenues arbitrairement. Pourtant, aucune mesure concrète n’a été prise pour permettre la mise en œuvre de cette résolution et de nombreuses tentatives de négociations politiques échouent à aboutir à un résultat.
En 2016, des associations de survivants et des familles de victimes se forment et réclament leurs proches disparus. Le 10 février 2021, 5 de ces associations, devenues 10 par la suite, ont lancé La Charte de la Vérité et de la Justice qui résume leur vision pour l’application d’une justice en deux actes. D’une part, à court terme, en appliquant des mesures d’urgence comme la libération des détenus et la révélation du sort des disparus. D’autre part, à long terme, la réparation et la responsabilisation des auteurs des crimes commis.
Afin de concrétiser cette vision, une étude a été réalisée sur la nécessité de mettre en place un mécanisme dédié à révéler le sort des disparus en Syrie dont le titre est “Des Humains, Pas des Chiffres, Les arguments en faveur d’un mécanisme international pour traiter la crise des détenus et des personnes disparues en Syrie”.
Le 24 décembre 2021, l’Assemblée générale des Nations Unies adopte la résolution 76/228, dans laquelle elle invite le Secrétaire général des Nations Unies à mener une étude, en consultation avec le Haut-Commissariat des droits de l’Homme, sur les moyens permettant de renforcer les efforts, y compris par le biais des mesures et mécanismes existants, afin de clarifier le sort et l’emplacement des disparus dans le République arabe syrienne, identifier les dépouilles et apporter un soutien à leurs familles.
L’étude vient répondre aux aspirations des familles de victimes puisqu’elle préconise l’établissement d’une institution permettant de révéler le sort et l’emplacement des disparus. L’Assemblée Générale des Nations Unis s’est engagée, par le biais de sa résolution 77/230 du 15 décembre 2022, à prendre davantage de mesures pour traiter la question des disparitions forcées, tout en garantissant l’implication des survivants et des familles de victimes dans toutes les étapes de ce processus.
Les résolutions 76/228 et 77/230 de l’Assemblée Générale des Nations Unies tracent une voie claire pour résoudre cette question. Vous, en tant que États Membres de l’ONU ne pouvez pas laisser passer cette occasion. Nous avons maintenant des recommandations claires du Secrétaire-Général qui permettront la résolution de cette question. Le temps des discussions est révolu et vous vous devez d’agir. A moins que vous n’assumiez de faire retarder les efforts en vue d’une solution.
Par conséquent, nous appelons tous les États Membres à apporter leur soutien à la mise en œuvre de la recommandation du Secrétaire-Général en promouvant une résolution, par l’intermédiaire de l’Assemblée Générale, permettant la création d’une institution chargée de révéler le sort des personnes disparues, tout en veillant à ce que les familles de victimes et les survivants aient un rôle central et actif au sein de celle-ci.
L’occasion d’établir l’institution ne se répétera pas, et les États Membres doivent assumer leur responsabilité devant l’histoire et devant les centaines de milliers de Syriens touchés par le crime de disparition forcée. Laisser passer cette occasion serait une erreur historique.
[1] Le réseau syrien de droits de l’Homme. Registre de disparition forcée en Syrie. En ligne : Record of enforced disappearances | Syrian Network for Human Rights (snhr.org)
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